18 décembre 2023
Monsieur le Premier Ministre,
Je vous écris aujourd’hui au nom des femmes que je représente. Soit 80 % des 40 000 membres de la Fédération du personnel de soutien scolaire (FPSS-CSQ).
C’était en janvier 1954. Vous étiez certes trop petit pour que cela vous affecte, vous aviez trois ans. Maurice Duplessis, à la tête de son gouvernement largement majoritaire, fait adopter deux projets de loi controversés qui ont mobilisé les syndicats : les projets de loi 19 et 20.
Le projet de loi 19 a été surnommé la « loi du cadenas », afin d’empêcher toute forme de propagande dans le milieu ouvrier. Quant au projet de loi 20, il prévoyait le retrait de la certification à tout syndicat d’employés publics dont un ou plusieurs membres auraient encouragé la tenue d’une grève.
Le but premier de ce gouvernement duplessiste était de légiférer contre les syndicats, réduire leurs pouvoirs à néant. Il ne veut surtout pas perdre le contrôle. Duplessis détestait les syndicats et en faisait une cause personnelle. Ça vous dit quelque chose, monsieur Legault?
Lorsque je lis sur l’histoire du gouvernement Duplessis, je retrouve plusieurs similitudes avec le gouvernement duquel vous êtes à la tête actuellement : une haine profonde des syndicats, vouloir conserver le pouvoir et le contrôle à tout prix, adopter des lois très contestées, et ce, sans presque aucune opposition.
Cependant, vous semblez oublier quelques détails. Depuis les années de Duplessis, plusieurs droits fondamentaux ont vu le jour, dont la majorité a été portée à bout de bras par les femmes. Des femmes de la génération de votre mère, monsieur Legault. Elles ont livré des combats incroyables pour obtenir le simple droit d’être des femmes à part entière.
Bien que la génération de filles qui occupent aujourd’hui les bancs d’école soit d’avis que c’est un droit acquis, pour ma part, je ne peux faire abstraction de la fragilité de tous ces droits si durement gagnés.
Lorsque je vous entends détester les syndicats, point de presse après point de presse, lorsque je vous vois presser vos ministres et députés pour faire adopter deux projets de loi sur des réformes majeures en santé et en éducation, alors qu’ils ont été hautement décriés par les deux réseaux, je ne peux pas m’empêcher de vous comparer à Maurice Duplessis.
Cette fameuse idéologie que c’est plus facile avec le privé. On comprend bien votre stratégie d’intégrer petit à petit et furtivement plus de privés en éducation et en santé. On voit clair dans votre jeu, puisque c’est ainsi que vous voulez gérer notre gouvernement, comme une grosse entreprise privée.
Vous et vos ministres décriez à qui veut l’entendre qu’il faut couper dans les conventions collectives et obtenir davantage de flexibilité. L’élastique va bientôt vous péter dans la face, je préfère vous avertir.
Pour votre culture, vous aimez lire après tout monsieur Legault, les syndicats sont apparus afin de protéger les travailleuses et les travailleurs contre la précarité. C’est un mot que vous connaissez bien, n’est-ce pas? Préférez-vous pénurie de personnel? Vous conviendrez que les deux concepts sont difficilement indissociables.
La majorité actuelle des personnes syndiquées de l’État sont des femmes, mais ça, vous le savez déjà. Des femmes qui doivent se battre, encore aujourd’hui, pour occuper des postes aussi prestigieux et payants que ceux des hommes et attendre vingt (20) ans pour obtenir l’équité salariale pour leur emploi. Ces femmes qui peinent à joindre les deux bouts pour nourrir leur famille. Des femmes qui perdent leur emploi parce qu’elles se sont trop absentées au travail, afin de prendre soin de leurs enfants. C’est à elles que vous réclamez plus de flexibilité. Croyez-vous que ça tient vraiment la route? Les femmes, parce qu’elles sont des femmes, sont encore les moins bien payées au Québec et doivent poursuivre le combat de leurs grands-mères et leurs mères pour obtenir un salaire décent.
Ces mêmes femmes sont aujourd’hui dans la rue, sans salaire, à réclamer de meilleures conditions de travail, pour elles, mais surtout pour faire vivre leur famille décemment. Ce concept, vous devez le comprendre monsieur Legault, c’est en vertu de cela que vous avez octroyé 30 % d’augmentation à vos députés.
En terminant, je souhaite vous mettre en garde monsieur le Premier Ministre. Que vous vous attaquiez aux droits des femmes, c’est une chose! Elles sont résilientes et vous le savez, elles ont cette fâcheuse habitude. Mais en attaquant leur droit de négocier collectivement comme vous le faites, en choisissant de demeurer sur vos positions bien fermement et en offrant des peccadilles, en attaquant le contenu des conventions collectives et des conditions de travail qui s’y retrouvent pour les personnes salariées de l’État, vous embarquez sur un terrain très glissant.
Elles sont solidaires et, croyez-moi, elles monteront aux barricades pour ne plus perdre un iota de tous les droits fondamentaux acquis par les femmes, pour les femmes, depuis l’époque de Duplessis.
Allez vous promener sur le terrain, parlez à ces femmes qui refusent de perdre davantage, mais surtout qui souhaitent ardemment plus de considération de votre part. Et croyez-moi, elles ne sont pas prêtes à rentrer au travail. Vous pensez les casser? Elles ont des principes et des valeurs fondamentales : aider ceux pour qui elles travaillent chaque jour. La population est derrière elles, vous l’avez constaté. Les électeurs ont enfin compris à qui ils avaient affaire : un homme imbu de pouvoir qui n’a rien à faire de l’avis de ceux qui l’ont porté au pouvoir.
Alors, préparez-vous monsieur Legault, les Québécoises et les Québécois sont très en colère contre vous et cette bataille, vous ne la gagnerez pas!
Éric Pronovost
Président de la Fédération du personnel de soutien scolaire (FPSS-CSQ)